3-1399/1

3-1399/1

Sénat de Belgique

SESSION DE 2005-2006

19 OCTOBRE 2005


Proposition de loi interdisant la maternité de substitution et le recours aux mères porteuses

(Déposée par Mme Clotilde Nyssens)


DÉVELOPPEMENTS


La présente proposition vise à interdire inconditionnellement la maternité de substitution, le recours aux mères porteuses, le « prêt d'utérus ».

Les phénomènes de la maternité de substitution et du recours aux mères porteuses sont bien souvent confondus dans le langage courant. Il est vrai que dans les deux cas, l'objectif est d'assurer la gestation d'un enfant pour le compte d'une autre femme, mais alors que la mère de substitution porte l'enfant de cette femme qui aura fourni les gamètes pour les besoins d'une fécondation in vitro, la mère porteuse, à la fois « donneuse » et « porteuse », est la « véritable mère », la mère biologique de l'enfant qu'elle abandonnera à la mère « d'accueil » (1) .

La « maternité pour autrui » peut, dans les faits, constituer un recours tant pour les couples mariés que non mariés, ou homosexuels, pour des personnes seules, pour des personnes ayant dépassé l'âge de procréer ... Dans le cas de la maternité de substitution, les maternités génétique et gestationnelle sont dissociées, hypothèse que le législateur de 1987 n'avait certes pas envisagée lorsqu'il entérina, en une combinaison de l'article 312 avec l'article 57 du Code civil, l'adage « mater semper certa est ». Indépendamment des importantes complications biologiques et psychologiques inhérentes à cette technique, les difficultés juridiques qui en résultent sont particulièrement remarquables.

A. Aspects juridiques

Le recours aux mères porteuses, la maternité de substitution, sont des procédés illégaux, en l'état actuel de notre ordre public. Indépendamment de la présente proposition de loi interdisant expressément ce genre de pratiques, un contrat entre la personne assumant une grossesse pour autrui et de futurs parents, aurait peu de chances d'être reconnu comme valable ou en tout cas exécutoire étant donnée l'illicéité flagrante de son objet. Le Conseil de l'Europe, en 1989, s'est d'ailleurs déclaré opposé aux pratiques de substitution en déclarant qu'« aucun contrat ou accord entre une mère de substitution et la personne ou le couple pour le compte de laquelle ou duquel un enfant est porté ne pourra être invoqué en droit » et que « toute activité d'intermédiaire à l'intention des personnes concernées par une maternité de substitution doit être interdite, de même que toute forme de publicité qui y est relative ».

Toute convention ayant pour objet une maternité de substitution ou le recours aux services d'une mère porteuse est juridiquement nulle, de nullité absolue, puisqu'elle contrevient:

1º au principe de l'indisponibilité du corps humain, qui interdit que le corps fasse l'objet d'un contrat (indisponibilité, pour la mère, du corps de l'enfant, et de son propre corps) (2) ;

2º au principe de l'indisponibilité du statut des personnes, qui interdit que les individus interfèrent dans les règles qui fixent la filiation;

3º au droit indisponible et inaliénable pour la mère qui porte et mettra au monde un enfant de déterminer son lien de filiation.

Le principe de l'indisponibilité, du caractère hors commerce du corps humain n'exclut pas la reconnaissance d'un droit extra-patrimonial (une forme de droit d'autodétermination) de la personne sur son corps, lequel droit de « disposition » ne peut toutefois s'exercer que dans les limites de l'ordre public. D'une part, lorsque l'objet d'une convention est la location de son propre corps ou de parties de celui-ci par une mère porteuse ou de substitution, cette convention est à l'évidence illicite, ne fût-ce que par les clauses attentatoires à la liberté individuelle qui peuvent s'y trouver (par exemple les clauses prévoyant l'obligation de se soumettre aux inséminations ou au transfert d'embryon jusqu'à la réussite de la fécondation). D'autre part, lorsque l'objet du contrat est l'enfant lui-même, son illégalité est pareillement flagrante: l'enfant ne peut en aucun cas être l'objet d'un contrat, « pas même par analogie avec le contrat d'adoption puisque dans cette hypothèse, c'est l'enfant lui-même qui est par représentation sujet du contrat d'adoption, lequel est en outre soumis à un contrôle judiciaire rigoureux. » (3) .

Quant au statut de l'enfant né d'une gestation pour autrui, l'accouchement n'étant pas admis en Belgique, la mère légale est la femme désignée comme telle dans l'acte de naissance. Si la femme qui a accouché est également la mère génétique, sa maternité ne pourra pas être contestée par la femme demandeuse. Si l'enfant est génétiquement celui du couple demandeur, une action en contestation pourrait être introduite. Il n'existe toutefois pas de jurisprudence à cet égard. Le principe semble toutefois être que l'accouchement prévaut sur le lien génétique (voir par exemple article 314, alinéa 3, du Code civil qui prévoit, à propos de l'établissement de la filiation maternelle par voie judiciaire, que le demandeur doit apporter la preuve que l'enfant est celui dont la mère prétendue a accouché). En d'autres termes, pour que l'action en contestation de maternité soit déclarée fondée, la preuve devra être administrée que la femme qui est mentionnée comme la mère dans l'acte de naissance n'a pas accouché de cet enfant (4) .

Cela signifie que la possibilité de rompre le lien de filiation entre mère et enfant dans la gestation pour autrui reste sinon impossible du moins très incertaine en droit, si, du moins la femme accouche en Belgique où l'accouchement anonyme est impossible.

Pour le reste, la filiation légale dépend de l'état civil de la mère porteuse.

Si la mère porteuse n'est pas mariée, le père demandeur peut reconnaître l'enfant, avec l'accord de son épouse s'il est marié.

Si la mère porteuse y consent, l'enfant peut ensuite être adopté par la mère demandeuse.

Les époux demandeurs pourraient aussi adopter ensemble.

Si la mère porteuse décidait de garder l'enfant, elle pourrait obliger le père demandeur, s'il est le père biologique, à reconnaître l'enfant en intentant une action en recherche de paternité.

Si la mère porteuse est mariée, son mari est le père légal de l'enfant.

Si son mari a consenti au don de sperme chez son épouse ou à tout autre acte ayant la conception pour but, il ne peut plus contester sa paternité sur base d'incompatibilité génétique. De même, le père demandeur ne peut plus contester sa paternité parce que ce droit est réservé aux partenaires mariés et à l'enfant entre 18 et 22 ans (5) .

Les parents demandeurs ne disposent donc d'aucun moyen de droit pour obliger « les parents porteurs » au transfert de leurs droits de filiation.

Les seules possibilités sont: le fait que le mari n'aurait pas donné son accord à la fécondation de son épouse par un tiers ou que cet accord ne peut être prouvé (6) ou encore si les parents porteurs étaient au moment de la conception, engagés dans une procédure de divorce ou autorisés par le juge de paix à résider séparément.

Dans la gestation pour autrui, l'adoption plénière permet donc de transférer les droits de parenté aux parents demandeurs.

Or, les avis restent partagés quant à l'acceptabilité juridique d'une adoption par rapport à une convention de valeur nulle de gestation pour autrui.

En France, la Cour de cassation a jugé en 1991 qu'une adoption réalisée dans le cadre d'une convention préalable de gestation pour autrui n'était pas légale parce qu'elle reposait sur une convention nulle (7) .

En Belgique, le cas s'est posé de la situation, au regard du droit de la filiation, d'un enfant né de la réussite d'une opération « triangulaire » commencée par une fécondation in vitro suite à laquelle une femme, la « mère porteuse » (ici, le ministère public commet la confusion dénoncée plus haut en qualifiant de mère porteuse la mère de substitution), a accepté, pour rendre « service » à la mère génétique, sa soeur en l'occurrence, de porter l'enfant jusqu'au terme de la grossesse. La mère légale, en vertu des règles du Code civil, est la mère qui met l'enfant au monde, c'est-à-dire, dans ce cas-ci, la mère de substitution. La requête portée devant le tribunal de la jeunesse de Bruxelles avait pour objet de faire homologuer l'adoption plénière de l'enfant par ses parents génétiques, et, par conséquent, de faire disparaître tout lien de filiation entre l'enfant et sa mère gestatrice (la mère de substitution). Le jugement prononcé le 4 juin 1996 (8) fit droit à la demande, dans le but certes bien légitime de garantir au mieux l'intérêt de l'enfant puisque « si génétiquement Ivo est le fils de la requérante et considéré comme tel dans la vie sociale, il est dans son intérêt que sa situation juridique soit clarifiée et que le droit et le fait se rejoignent ». Le juge constate que « l'adoption plénière par Mme D. est fondée sur des justes motifs et présente un avantage pour celui qui en est l'objet. »

Une décision du tribunal civil de Turnhout du 4 octobre 2000, dans un cas où une sœur se présentait comme la mère porteuse de deux enfants obtenus à partir des gamètes des parents adoptifs, s'inscrit dans la même tendance. Elle n'interprète pas l'existence d'une convention de gestation pour autrui comme un motif illégal, mais comme un motif non pertinent, pour justifier une adoption (9) .

Cependant, il n'est pas évident que le législateur, en organisant le régime de l'adoption, ait, plus qu'en légiférant sur l'établissement de la filiation maternelle, envisagé ce genre de situation puisque l'adoption a principalement pour raison d'être de remédier à des situations d'abandon, d'orphelinat ... et non d'aménager les effets de la maternité de substitution, institution dont la légalité, de même que la légitimité, sont pour le moins contestables. La loi ne saurait cautionner semblable détournement de l'institution de l'adoption (10) . Par ailleurs, même en « détachant » la gestation pour autrui de l'adoption, on en arrive à entériner un contrat portant sur la filiation d'un enfant: l'état indisponible de l'enfant est mis en conformité avec le contenu d'une convention de gestation pour autrui par la technique de l'adoption, qui apparaît dès lors bien plus comme un contrat que comme une institution (11) .

Par ailleurs, notre législation en matière d'adoption ne permet pas de faire une déclaration de pré-adoption. L'adoption d'un enfant à naître n'est pas permise. Il est toujours laissé à la mère biologique un délai de 2 mois pour se rétracter.

Indépendamment des problèmes juridiques que pose la gestation pour autrui, un certain nombre d'autres problèmes sont liés à cette pratique.

B. Aspects médicaux

On peut tout d'abord citer les problèmes liés aux risques médicaux d'une gestation pour autrui.

Beaucoup de médecins au sein du Comité consultatif de bioéthique de Belgique sont contre la gestation pour autrui par le simple fait de l'existence des risques liés à la grossesse. La grossesse est toujours un risque. Dans le cas de la gestation pour autrui, il est doublé par les risques liés à la fécondation in vitro. Ces risques étant pris pour autrui.

C. Aspects éthiques

1. La question essentielle et première à se poser est celle de savoir si naître d'une mère porteuse est bien dans l'intérêt de l'enfant.

D'emblée, il faut souligner qu'il n'y a pas d'études disponibles sur l'impact de la grossesse de substitution sur le vécu des enfants, bien que la pratique de la gestation pour autrui existe aux États-Unis et au Royaume Uni depuis les années 1980.

L'enfant né dans le cadre d'une maternité « dans le détachement plus ou moins forcé » ou, à tout le moins, « dans l'idée d'une séparation » n'est-il pas affecté d'une blessure psychique profonde, comparable à celle dont souffrent les enfants non désirés ?

Le fait de savoir qu'une mère porteuse est intervenue ne va-t-il pas rendre la formation de son identité plus difficile ? Faut-il le cacher à l'enfant ? Dans la gestation pour autrui par insémination de la mère porteuse, l'enfant peut avoir l'impression que sa mère l'a abandonné à des tiers via un service de reproduction. Dans le cas d'une gestation pour autrui avec transfert d'embryons, l'enfant a un lien génétique avec les deux parents et aucun avec la mère porteuse. L'impression d'abandon par la mère porteuse peut être atténuée, mais inversement le fait que sa mère génétique ne se soit pas investie dans la grossesse peut rendre difficile la construction du lien avec cette mère génétique.

Selon certaines théories psychologiques, par exemple la psychanalyse, des traumatismes psychologiques sérieux pourraient se présenter chez l'enfant né d'une grossesse pour autrui (et sans doute également chez la mère porteuse).

La grossesse pour autrui n'est donc pas éthiquement acceptable d'un point de vue individuel, déjà si nous prenons le seul point de vue de l'enfant.

2. Par ailleurs, la grossesse pour autrui implique que la mère porteuse est déchargée de ses responsabilités vis-à-vis de l'enfant qu'elle a porté pendant neuf mois et mis au monde. Sous l'angle sociétal, cela peut affaiblir les sentiments normaux qu'il y a là un devoir et éroder la perception que notre société a de la force du lien parental.

3. Il existe aussi les problèmes liés à l'attachement affectif de la mère porteuse envers l'enfant:

Lorsqu'elle s'attache à l'enfant dans la période prénatale, de sérieuses difficultés psychologiques peuvent survenir au moment où elle doit se séparer de l'enfant (risque de dépression postnatale accru), ce qui augmente le risque de conflits avec les parents demandeurs

Lorsque, au contraire, un lien insuffisant se développe entre la mère porteuse et l'enfant, cela peut conduire à des comportements insuffisamment protecteurs de l'enfant:

La mère porteuse peut aussi connaître des problèmes relationnels avec son partenaire ou mari, avec ses enfants — qui comprendraient mal que leur mère abandonne leur « petit frère » ou « petite sœur », avec ses parents ou les membres de sa famille, avec l'entourage: cela peut être vécu comme une forme d'abandon ou de maltraitance.

4. Des problèmes peuvent aussi exister dans les relations entre les parents demandeurs et la mère porteuse. L'engagement d'une tierce personne dans un projet de reproduction peut être ressenti comme intrusif et créer un malaise. Ce malaise peut être d'autant plus grand que la mère porteuse est plus intime (amie, sœur, mère). Plus tard également, la mère porteuse, si elle fait partie de la famille, aura sans doute tendance à s'immiscer dans le développement et l'éducation de l'enfant.

Une maternité de substitution intergénérationnelle est en tout cas à proscrire absolument car elle efface les différences entre les générations.

Surtout la bonne fin d'une gestation pour autrui est incertaine, ce qui peut créer de l'angoisse chez les parents et une relation difficile avec la mère porteuse.

Par ailleurs, si les parents désirent cacher à l'enfant l'intervention d'une mère porteuse dans ses origines, cela peut créer un problème supplémentaire si la personne est de la famille ou une amie. Cela peut en outre être interprété par la mère porteuse comme une manque de reconnaissance

D. Problèmes spécifiques

Les problèmes spécifiques qui peuvent se poser sont notamment les suivants:

1. La mère porteuse veut garder l'enfant: une convention de gestation pour autrui est nulle (article 6 et 1128 du Code civil). Un tel contrat n'entraîne donc aucun droit. Une déclaration de préadoption ne pourrait donc être admise sur base de ce contrat.

Il s'agit au maximum d'un engagement sur l'honneur. La convention peut expliciter une série de choses mais tant les parents demandeurs que la mère porteuse ne seront jamais certains du transfert des droits de parenté (relation de confiance).

En outre, la loi sur l'adoption (tant l'ancienne que la nouvelle loi du 24 avril 2003) ne permet pas l'adoption d'un enfant à naître. Le délai de deux mois après la naissance figure toujours dans la nouvelle loi pour permettre aux parents biologiques de l'enfant de prendre conscience de leur maternité et paternité, de sorte que leur décision de consentir à l'adoption soit mûrement réfléchie, d'autant qu'aucun délai de repentir ne permet aux parents de revenir sur leur décision.

La presse fait régulièrement l'écho de cas où la mère porteuse refuse, malgré la convention conclue, de se séparer de l'enfant, avec les conséquences dramatiques que l'on peut imaginer.

Dans la gestation pour autrui, il est impossible de prévoir le lien d'attachement qui va se développer entre la mère porteuse et l'enfant. Nous sommes d'avis qu'on ne peut juridiquement contraindre la mère porteuse à se séparer de son enfant si elle désire le garder. La liberté de la femme de garder l'enfant qu'elle a mis au monde est un droit fondamental de toute femme.

2. Les parents demandeurs peuvent aussi refuser l'enfant: Si la mère porteuse a été inséminée par le sperme du père demandeur ou que l'embryon implanté chez elle provient du couple demandeur, le père demandeur ou les parents demandeurs peuvent être contraints de prendre en charge leurs devoirs parentaux envers l'enfant. Mais ce n'est pas une bonne solution pour l'enfant, qui n'est alors pas (plus) désiré.

La meilleure solution c'est toutefois que l'enfant soit pris en charge par des parents adoptifs qui désirent un enfant.

Quid aussi en cas de complications lors de la grossesse ou de naissance d'un enfant né handicapé ? Quid des responsabilités ? Quid en cas de grossesses multiples ?

3. Se pose aussi le problème de l'indemnisation de la grossesse pour autrui.

Certains considèrent que seule la commercialisation de la gestation pour autrui doit être interdite: en dehors d'un simple dédommagement, aucun paiement ne peut intervenir ni de la mère porteuse, ni d'une instance intermédiaire.

Pour le reste, il suffit d'encadrer les pratiques de gestation pour autrui et prévoir une série de conditions.

Or, nous sommes d'avis que la gestation pour autrui comporte déjà en soi une instrumentalisation de la mère porteuse et de l'enfant. C'est certainement vrai en cas de commercialisation mais c'est déjà réel pour les conventions non commerciales.

La commercialisation est certes totalement inacceptable parce qu'elle porte atteinte à la dignité humaine.

Toutefois, il est parfois difficile de tirer une frontière nette entre une gestation pour autrui de type commercial et de type non commercial. En UK, l'indemnité peut s'élever par exemple à 25 000 euros. La motivation finale pour le choix d'être mère porteuse peut donc bien être « économique », même si les seuls frais réels sont compensés. La motivation principale de solidarité inhérente à la gestation pour autrui disparaît alors.

On sait aussi que la commercialisation augmente les risques d'exploitation des femmes qui se présentent comme mères porteuses. Tant au Royaume Uni qu'aux États Unis, on constate que les femmes qui se présentent comme mères porteuses proviennent de manière disproportionnée de classes économiquement faibles.

C'est pour ces raisons qu'il nous semble opportun d'interdire tant les conventions commerciales que les conventions non commerciales.

En guise de conclusion, nous souhaiterions réfléchir aux considérations émises par le Comité consultatif de bioéthique de Belgique dans son avis nº 30:

Le Comité souligne que de nombreux problèmes peuvent surgir d'un excès comme d'une insuffisance de contacts entre la mère porteuse et les parents demandeurs. Selon le Comité, ces problèmes, qui pourraient être évités, dépendent de deux facteurs:

1) la mesure dans laquelle la mère porteuse a acquis confiance dans les parents demandeurs;

2) la mesure dans laquelle la mère porteuse peut prendre distance d'avec l'enfant en considérant sa grossesse comme un « job » ou un « service » (!)

Cette dernière considération est particulièrement interpellante.

Permettre la grossesse pour autrui signifie symboliquement permettre d'opter délibérément pour un projet de grossesse sans accueillir l'enfant, pour s'en séparer à la naissance. Cela signifie que la grossesse ne fait pas partie de l'histoire maternelle, de l'histoire de l'enfant et de l'histoire parentale. C'est nier l'importance relationnelle de la grossesse (12) .

Dans la gestation pour autrui, une femme se contraint à vivre sa grossesse, contrairement à l'ordre normal des choses, c'est-à-dire non pas dans l'attachement progressif et la construction du lien avec son enfant mais dans le détachement (si pas dans l'indifférence) et dans l'idée d'une séparation. Nous estimons que l'enfant subit un préjudice si les circonstances ont fait que ce lien n'a pas pu se construire avec la mère et son entourage. On ne peut séparer « l'acte de porter » de la « maternité ».

A cela s'ajoute le fait qu'il y a une chosification des relations humaines et de la grossesse en particulier: être enceinte et mettre un enfant au monde est vécu par la plupart des femmes comme un élément constitutif de leur identité, comme une part de leur engagement envers leur partenaire et leur enfant. Faire de cet événement l'objet d'une transaction oblige la femme à en changer le statut subjectif. Cela devient quelque chose de juridiquement traitable et négociable. Cette objectivation et chosification pose question.

Le sentiment de solidarité envers les parents infertiles ne peut l'emporter sur cette signification humaine et symbolique de la maternité et le désir d'enfant ne peut primer sur l'intérêt de l'enfant à naître.

Au vu de tous ces éléments, nous sommes d'avis que la maternité de substitution doit être interdite.

La réalité quotidienne démontre que l'illicéité de principe, lorsqu'elle n'est pas expressément formulée, se révèle bien souvent impuissante à empêcher le déroulement des faits.

Aussi, la présente proposition de loi formule à l'encontre des pratiques de maternité pour autrui des interdits explicites.

Clotilde NYSSENS.

PROPOSITION DE LOI


Article 1er

La présente loi règle une matière visée à l'article 78 de la Constitution

Art. 2

Pour l'application de la loi, on entend par:

« mère porteuse »: la femme qui porte un enfant conçu à partir de ses propres ovules et le sperme du père ou d'un donneur, avec l'intention de remettre l'enfant à autrui à la naissance;

« mère de substitution »: la femme qui porte un enfant conçu à partir des gamètes d'un couple stérile ou de donneurs anonymes via les techniques de procréation médicalement assistée, avec l'intention de remettre l'enfant à ce couple stérile ou à autrui à la naissance.

Art. 3

Le recours aux mères de substitution et aux mères porteuses est formellement prohibé, pour quelle que cause que ce soit.

Art. 4

Toute convention ayant pour but ou pour effet direct ou indirect de réaliser une gestation pour le compte d'autrui est nulle.

Il est interdit de servir d'intermédiaire, de faire appel à un intermédiaire, ou de rétribuer une personne sous quelle que forme que ce soit, en vue de conclure pareille convention.

Art. 5

La publicité, sous quelle que forme que ce soit, aux fins de conclure une convention telle que visée à l'article 4 ou en vue d'inciter les femmes à servir de mères de substitution ou de mères porteuses est interdite.

Art. 6

Il est interdit de rétribuer une femme sous quelle que forme que ce soit pour qu'elle serve de mère de substitution ou de mère porteuse.

Art. 7

Quiconque aura commis ou facilité des infractions aux articles 3 à 6 sera puni d'un emprisonnement de 3 à 5 ans et d'une amende de 1 000 à 20 000 euros ou d'une de ces peines seulement.

Art. 8

Sans préjudice de l'article 7, tout condamnation pour des faits visés aux articles 3 à 6 peut comporter pour une durée de 5 ans l'interdiction d'exercer toute activité médicale.

Art. 9

Le chapitre VII du livre I du Code pénal est applicable aux infractions à la présente loi.

24 mai 2005.

Clotilde NYSSENS.

(1) Voir Gilda Nicolau, L'influence des progrès de la génétique sur le droit de la filiation, Presses universitaires de Bordeaux, 1991, p. 253.

(2) Il paraît raisonnable, dans la logique de cette illicéité reconnue, d'interdire également les conventions préalables à celles visant la procréation pour le compte d'autrui et qui auraient été conclues, par exemple, en vue d'une adoption subséquente. (Voir Y. Charlier, note sous Civ. 1re, 24 juin 1994).

(3) M-T. Meulders-Klein, « Le droit de l'enfant face au droit de l'enfant et les procréations médicalement assistées », Rev. trim. dr. civ., 1988, p. 645.

(4) G. Verschelden, De betwisting van het vaderschap van de echtgenoot na kunstmatige inseminatie, note sous Civ. Gand (3ech.) 31 mai 2001, RGDC, 2002, liv. 1, 31; dans son Avis no 30 du 5 juillet 2004 relatif à la gestation pour autrui (mères porteuses), le Comité consultatif de bioéthique de Belgique est plus nuancé quand il souligne que « Les avis sont partagés sur la question de savoir si la maternité gestationnelle doit ou non prévaloir sur la maternité génétique » (p. 7). Il ne mentionne toutefois aucune référence doctrinale.

(5) Voir toutefois la proposition de loi modifiant des dispositions du Code civil relatives à l'établissement de la filiation et aux effets de celle-ci (votée en Commission de la Justice de la Chambre) (Doc. 51 0597): l'article 14 de cette proposition modifie l'article 330 du Code civil en ouvrant l'action en contestation de la reconnaissance ou de la présomption de paternité à la personne qui revendique la paternité ou la maternité de l' enfant.

(6) Civ. Gand (3e ch.), 31 mai 2001, RGDC, 2002, liv.1, 27 note Verschelden G.

(7) Cass. Fr. (plén.), 31 mai 1991, JT, 1991, 767, avec note X. Dijon et J.P. Masson

(8) JLMB, 1996, 1182.

(9) Trib. Jeun. Turnhout, 4 octobre 2000, R.W. 2001-2002, 206, note Swennen

(10) Voir, en ce sens, Jacques Massip, L'insertion dans le Code civil des dispositions relatives au corps humain, à l'identification génétique et à la procréation médicalement assistée », Rép. Defrénois, 1995, p. 74.

(11) F. Swennen, Volle adoptie na draagmoederschap: nihil obstat ?, note sous Trib. Jeun. Turnhout, 4 octobre 2000, RW, 2001-2002, p. 207

(12) Dr Luc Roegiers, La Libre Belgique, 24 mai 2005.